La poésie est aussi sur d'autres médias

Publié le par Fabrice D

Nous parlons, par exemple,  de poésie pour les films d’animation de Miyazaki. Elle sort donc du monde des livres  pour s’inviter sur tous les supports.

Nous allons aujourd’hui, sortir des sentiers battus et étudier les jeux vidéo et plus particulièrement ceux de thatgamecompagny (le studio de Jenova Chen) .

Le jeu vidéo comme les autres produits culturels de masse peut parfois aussi se révéler comme un grand moyen de création. Depuis ses origines des développeurs (nous n’osons pas encore parler d’artistes pour ce média), innovent et sortent des sentiers battus. Ils proposent de nouveaux concepts et suscitent de nouvelles émotions inédites pour ce support.

La poésie peut être visuelle. (Tout le monde a en tête par exemple les peintures oniriques et métaphysiques des surréalistes). Beaucoup de jeux vidéo, sont d’ailleurs qualifiés de poétiques par ce biais-là. Chez thatgamecompagny, par contre, idée innovante, c’est le concept de jeu qui s’avère, lui-même, poétique.

En effet
-Dans Cloud, le joueur vole et contrôle les nuages
-Dans Flower, le joueur incarne le vent et fait voler des pétales de fleurs
-Journey se représente comme la métaphore d’une vie humaine.

Les deux autres jeux, moins poétiques, sont tout aussi déconcertants. 
- Dans Flow, le joueur contrôle une amibe
- Dans Sky Children of light, le jeu veut encourager l’empathie et l’entraide entre joueurs.

Nous avons donc affaire à cinq véritables ovnis vidéo-ludiques.
Bien que très différents, nous pouvons déceler dans ces jeux des points communs : la patte de thatgamecompagny:

-Le studio, avant de produire un nouveau jeu, commence tout d'abord par définir les émotions qu’il veut susciter chez le joueur. (Méthode fort atypique pour le média). Les émotions sont donc vraiment le point crucial chez eux. Les jeux peuvent engendrer de l’apaisement, du bonheur, de l’amour, de la mélancolie ou de la crainte.

-Les jeux se veulent accessibles à tous. Pour cela, souvent, leurs durées de vie atteignent les 3 heures environ. Il y a peu d’éléments superflus. Les commandes et l’interface sont simplifiées au maximum. Il n’y a jamais de game over.

-Le studio accorde aussi une importance particulière au rendu visuel et sonore. (Les musiques comme les jeux sont souvent qualifiées de zen et d’apaisantes)

Nous vous invitons, pour la suite de l’article, à découvrir, plus en détails, ces cinq jeux.

Eh ! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !"

Baudelaire, l'Etranger

Cloud
Jenova Chen est né en Chine. En 2005, alors étudiant en Californie à l’USC, il conçoit le jeu vidéo « Cloud ».

Le joueur y  incarne Jun, un jeune garçon de 7 ans,  malade contraint de rester sur son lit d’hôpital. Une amie lui propose alors d’en sortir grâce à son imagination. Le joueur incarne l’enfant qui  rêve et s’évade en volant dans le ciel.  Là-haut, Jun attire les nuages autour de lui. Le joueur doit donc les positionner pour former des dessins. Il doit aussi faire dissiper les nuages gris en pluie. Pour cela il faut leur en amener un blanc.

Enfant, à cause de la pollution de Shanghai, Jenova Chen était souvent hospitalisé pour son asthme. Il rêvait alors des journées entières, avec mélancolie en regardant le ciel.

Cloud est un jeu sans ennemi et sans fin. Un jeu pacifique et contemplatif. Le succès bien qu’inattendu est immédiat. Les serveurs de l’université où il est d’abord distribué gratuitement saturent très vite. Une version commerciale sortira ensuite. Jenova Chen qui voulait dans un premier temps se consacrer à l’animation (il voulait notamment rentrer aux studios Pixar) a trouvé sa vocation. Son destin s’écrira avec les jeux vidéo !

Flow
Jenova Chen continue ces études. Il écrit alors une thèse sur « le flow ». Il s’agit  d'un vieux concept bien connu dans le monde vidéo-ludique qui représente l’état de concentration optimum du joueur. Il procure alors un sentiment de réussite et de bonheur. Le joueur ne voit plus le temps passer. Pour maintenir le Flow la difficulté des jeux doit être très bien dosée (ni trop dur car cela procure du stress ni trop facile, car c’est alors l’ennui).

Jenova Chen étudie l’ajustement dynamique de la difficulté (DDA). Le jeu doit pouvoir s’adapter aux compétences du joueur qui lui, doit évoluer à son rythme. Pour illustrer sa thèse il réalise un petit jeu flash « Flow ».

Dans son jeu, le joueur contrôle un micro-organisme marin qui peut grandir en dévorant les autres créatures. Il n’y a jamais de game over et le joueur  fixe lui-même la difficulté. Il reste en effet libre d’ignorer ou non les ennemis s’il les juge trop forts pour lui.

Une fois ses études terminées, Jenova Chen fonde avec Kellee Santiago la société thatgamecompagny (sans majuscule) et signe un partenariat avec Sony. Le jeune studio s’installe dans les locaux du quartier général de Sony aux États-Unis.

L’entreprise refonde complétement le jeu web « Flow » en une nouvelle monture commerciale graphiquement  beaucoup plus aboutie qui sort en 2007.
Le jeu s’imprègne de la beauté de la profondeur des abysses. Le joueur est bercé par les mouvements lents et gracieux de l’eau, le tout est renforcé par une bande son relaxante et zen.


 

« Flow » version étudiante

 

« Flow » version commerciale

Dans tout le soir un seul bruit
celui de la chute
des blanches fleurs de camélia.

Haïku de Rankô

Flower
Le développement du jeu s'est étalé sur 2ans.  Les 18 premiers mois ont été entièrement dédiés à la recherche du concept. Avant de se lancer dans la production, le studio commence toujours par se prononcer sur les émotions et les sentiments qu'il veut développer chez le joueur. C'est une démarche complétement atypique.

Flower sort en 2007.

Le jeu démarre dans un appartement d'une banlieue grisâtre et terne. Seul élément  de couleur une plante posée sur le rebord de la fenêtre sur le point d' éclore. Le joueur clique dessus et le jeu commence.

Il se met à rêver d'une vaste pleine où ondulent des brins d'herbe à perte de vue. Le joueur incarne le vent. Il fait voyager une pétale de fleur qui à son passage fait éclore les autres fleurs et renaître la nature.  Pour souffler, il suffit juste d'incliner la manette dans la direction souhaitée et la brise du joueur dirige la longue farandole multicolore de pétales.  Après 6 niveaux, le joueur ramènera enfin la couleur et la nature jusqu'à sa banlieue.  Il se dégage du jeu une sensation de vol et de liberté.

Comme pour "Flow ", il est impossible de rater un niveau ou de perdre. Si jamais le joueur percute un élément dangereux il est simplement repoussé en arrière. Ceci rend le jeu très accessible aux néophytes et aux enfants.  Le jeu peut se terminer en 3 heures. Il n'est donc pas trop chronophage . Ce jeu ne refroidit donc pas non plus les personnes actives (n'ayant donc que peu de temps à consacrer à ce loisir).

Nous noterons aussi la présence de quelques éoliennes ( là pour perturber le vent). Jenova Chen se défend , cependant, absolument, de ne pas vouloir véhiculer un message écologique ou politique.  (Il en a donc volontairement diminué le nombre) . Le studio veut juste transmettre des émotions.

Le bonheur ne se trouve pas au sommet de la montagne, mais dans la façon de la gravir.

Confucius

Journey
 

Le joueur incarne un personnage à cape rouge. Il voyage dans de vastes plaines désertiques,  en direction d'une énigmatique montagne. La géographie se caractérise par de vastes espaces épurés où figurent parfois des ruines de civilisations passées.

Le jeu veut transmettre des sensations de solitude, d'impuissance, de crainte face à la nature, de faiblesse et d'entraide entre les joueurs. (Il est en effet possible de rencontrer de façon aléatoire et inattendue un autre joueur en ligne. Même s'il est impossible de s'écrire ou de parler, les deux personnages peuvent quand même se prêter main forte.).

Le jeu est la métaphore d'une vie humaine. (La fin en a marqué plus d'un). Journey veut donc aussi susciter des questions existentielles chez le joueur. Qu'est ce que je fais là? Pourquoi j'existe?

Journey est construit grâce aux procédés narratifs du Mono-mythe (qui est surtout beaucoup employé pour les films du Nouvel Hollywood).  En effet, toutes les mythologies de l'Humanité ont été construites sur le même schéma avec les même personnages ou étapes clés. Le scénariste reprend et adapte donc ces grands axes dans la narration de sa nouvelle histoire. Les humains sont  aussi comme les grenouilles. Ils ne sont sensibles qu'aux grands écarts de températures. Il faut donc aussi alterner, dans le scénario, les émotions contraires. Les grandes capacité du joueur au début de jeu qui symbolise la jeunesse contraste par exemple avec la faiblesse et l'extrême fragilité de l'avatar en fin de partie (la vieillesse).

Ces méthodes classiques, Jenova Chen les a apprises lors de ses cours à l'USC (qui est surtout rappelons le, une grande école de cinéma).

Après une production chaotique le jeu sort en 2012. C'est un immense succès.

Sky: Children of the Light
 



Le joueur doit restaurer la lumière dans sept royaumes oniriques.

Le jeu vient, tout juste, de sortir sur les smartphones d'Apple (fin juillet 2019). Il est disponible gratuitement (sous le modèle économique du free to play) . Ce jeu est destiné aussi à  être porté sur d'autres supports (PC et consoles ). (Ces versions sont encore en préparation).

L'accent est tourné vers la coopération, les interactions et la communication entre joueurs. Le jeu veut inciter l'entraide (par de nombreuses récompenses et divers bonus). Certains passages secrets requièrent même la coopération originale et positive entre joueurs pour dévoiler leurs mystères. Jusqu'à huit joueurs peuvent se regrouper et s'entraider.

Il est aussi possible de communiquer avec les autres joueurs et de s'échanger des cadeaux.

Dans ce voyage onirique et social, le jeu veut donc surtout transmettre un sentiment d'empathie.
 

Publié dans Monde de la Poésie

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